Après sa troisième place ex-aequo avec Robin EMIG, lors des championnats de France Elite d’athlétisme à Angers, et sa non-qualification pour les Jeux olympiques de Paris, Renaud LAVILLENIE est passé en zone mixte. La déception bien cachée, le perchiste de 37 ans a déclaré se sentir de nouveau en forme et vouloir continuer à sauter à la perche encore longtemps. De quoi nourrir de belles ambitions.

Comment avez-vous vécu cette journée ?

“Forcément, la journée était intense du fait qu’il y ait beaucoup d’enjeux. Je pense qu’il fallait la prendre par le bon bout, ne pas se tromper de premier objectif, qui était, quoi qu’il arrive, de sauter barre après barre, pour mettre en place le concours et le saut. Après, ça s’est vu qu’on a tous été vraiment en galère avec le vent. C’est un sentiment de frustration de devoir tout jouer sur une compétition, où on ne peut clairement pas s’exprimer et où on est condamné à un exploit totalement au-dessus des capacités du moment.”

Comment s’est déroulé votre concours ?

“Ça a été dur d’accepter de sauter avec des perches plus petites, pour gérer les conditions et donc, se condamner à sauter moins haut. À 5,72m, j’ai la perche qui m’a permis de sauter cette hauteur, il y a un mois, une perche avec laquelle j’ai les moyens de passer 5,80m, mais avec laquelle j’ai besoin d’un minimum de relâchement dans ma course. Là, le vent n’était jamais régulier soit de face, soit trop latéral, et j’ai dû avoir un seul saut, sur l’ensemble du concours, où j’étais relâché, donc c’était difficile. Il y a toujours une part d’aléas, c’est le saut à la perche qui est comme ça. Ça peut le faire quand tu es en pleine bourre, mais quand tu es en manque total de repères, c’est compliqué.”

D’autant plus que personne ne vous attendait là ?

“Oui, c’est sûr que ça aurait mérité plus. Il y a 9 mois, j’étais sur le lit d’hôpital, à Paris, en train de me faire opérer de l’ischio. Personne ne me voyait revenir pour défendre mes chances, je pense que j’ai déjoué pas mal de pronostics. C’est vraiment frustrant de s’arrêter au pied de la dernière marche, mais ça l’aurait été encore plus si je n’avais pas pu défendre mes chances. Il faut savoir savourer les choses importantes. Aujourd’hui, je suis entier, toujours compétitif et encore sur le podium, malgré des délais que j’ai dû raccourcir en vue de l’objectif JO, en ayant entre 10 et 15 ans de plus que tout le monde, et dans une discipline qui est forte en France. Maintenant, il faut que j’accepte de me projeter sur la suite.”

Qu’est-ce qu’il vous a manqué ?

“Aujourd’hui, j’ai clairement vu qu’il fallait aller chercher l’exploit pour faire les minima. Il m’a manqué une compétition lors des deux semaines que j’ai passé à cogiter lorsque j’avais ma lésion (à l’ischio). Je savais qu’il n’y avait pas grand-chose pour que la chance bascule de l’autre côté. Je pouvais espérer croiser les doigts d’avoir, à Angers, des conditions neutres, voire correctes pour les minima, et pouvoir se battre un peu, mais ça n’a pas été le cas.”

Qu’est-ce que vous retenez de ce retour express qui a failli vous permettre d’être aux Jeux olympiques ?

“Il y a une chose sur laquelle je suis très fier et très content. Avec mon équipe, que ce soit mon coach, mon kiné, mon doc’ et mon agent, on a passé des derniers mois compliqués. On a dû prendre des décisions à l’inverse de la logique, décisions qui ont payé. Il n’y aucun regret, si ce n’est l’occasion d’avoir eu des compétitions pour le faire. Malheureusement, on a eu un mois de juin catastrophique. Ça fait partie du jeu et il faut l’accepter. Malgré tout, j’ai retrouvé le même niveau que les deux qui vont aller aux Jeux, et il m’a juste manqué les compétitions.”

Sur cette saison, est-ce que c’est, finalement, en Pologne, que vous manquez le coche (concours organisé à Duszniki par Piotr LISEK, le 31 mai dernier) ?

“C’est sûr que s’il y a un endroit où je rate le coche, c’est en Pologne, mais c’est tellement facile de dire ça après. Là-bas, j’étais mieux que ce que j’espérais (après un zéro à Clermont 9 jours avant, pour sa reprise), mais il y a la frustration de ne pas avoir eu cette perche de plus qui m’aurait permis d’aller aux Jeux. Le chemin, par la suite, aurait dû être top, mais d’un côté, je me fais mal et de l’autre, les conditions n’ont jamais vraiment été optimales, ensuite, pour pouvoir s’exprimer. Ça aurait été presque trop beau que ça passe à 5,82m, directement en Pologne, mais à la fois, je l’aurais mérité parce que je les valais.”

Vous, qui vous étiez déjà fait à l’idée de ne pas être à Paris, est-ce que vous arrivez à prendre ce recul maintenant que c’est officiel ?

“Oui, je n’ai jamais menti là-dessus. Si j’avais 25 ans et que j’étais en pleine forme, potentiellement, je raterais les Jeux de ma vie. Maintenant, je les ai déjà gagnés une fois (en 2012 à Londres), et j’ai failli les gagner une deuxième fois (médaille d’argent à Rio en 2016). J’ai quand même eu de quoi faire. À ce sujet, j’ai beaucoup apprécié les mots d’un mes compatriotes américains, Sam KENDRICKS, après les Trials (compétition pour les sélections olympiques américaines), où il dit qu’il ne comprend pas pourquoi les gens ne voient que par les Jeux, et que s’il n’y a pas les jeux, c’est un drame. L’athlétisme ne tourne pas que autour des Jeux, et si ne pas les faire peut me permettre de faire 2-3 championnats du monde de plus, je prends.”

On a l’impression que vous êtes super philosophe sur la situation ?

“Oui, parce qu’il y a quelques mois, il y a des moments où j’ai vraiment été dans le dur. Évidemment que tout le monde était confiant, parce que j’envoyais des messages positifs et parce que j’avais déjà fait des trucs de fou par le passé, mais au fond de moi, je savais. J’ai vu que j’avais gardé le frein à main pendant 6-7 mois, ce qui est dur à accepter. Derrière, quand j’ai réussi à lâcher les chevaux, j’ai vu qu’il me restait maximum 2 mois pour tout faire, ce qui est impossible. On ne construit pas une saison sur un one-shot.”

Il n’y a pas que les Jeux dans la vie, mais est-ce que parler de Los Angeles 2028, c’est de la science-fiction ?

“Avec moi, je crois qu’il n’y a aucune science-fiction. Après, il ne faut pas déjà se projeter dans 4 ans, alors qu’on n’a pas encore passé les Jeux de Paris. Je vais laisser mon corps me parler. Là, il m’a quand même envoyé de bons signaux, il m’a montré que je n’étais pas encore fini. De toute façon, il faut y aller saison par saison, comme j’ai toujours fait depuis le début. À tous ceux qui veulent que j’arrête, il va falloir encore me supporter pendant un moment (rires).”

À ce sujet, quelles sont vos prochaines échéances ?

“Il y a d’abord le meeting de Paris, dimanche, où il n’est pas impossible que je passe les 5,82m (rires), grâce aux entraînements qui sont à nouveau intensifs. Il faut se projeter sur la suite, continuer de prendre du plaisir avec, je l’espère, une belle fin de saison au mois d’août avec des compétitions pour se tourner vers 2025. Je vais continuer à bosser ce que j’ai réussi à mettre en place depuis quelques mois. Il y a un truc dont j’ai envie, là, c’est de sauter au ALL STAR PERCHE (compétition organisée par lui-même depuis 2016, à Clermont-Ferrand). Ça fait deux années que je n’y suis pas, c’est mon événement. Il y a aussi les championnats d’Europe l’année prochaine, les championnats du monde à Tokyo qui me font bien envie. J’ai réussi à réparer, peut-être, l’irréparable, donc je suis confiant pour la suite.”

Un dernier mot sur votre ressenti actuel ?

“Je commence à reprendre du plaisir. Quand, je vois tous ceux qui viennent d’arrêter ce week-end, tous mes camarades de l’équipe de France avec qui j’ai fait ma carrière, je m’estime chanceux d’être encore là. J’ai toujours, en moi, cette étincelle qui me permet de faire du saut à la perche et de faire ce que j’aime, quoi qu’il arrive à côté. C’est clairement un privilège. Je vais continuer de m’accrocher et d’avancer sur un de mes rêves qui est de faire de la perche avec mes enfants. Je veux continuer de pratiquer la perche au haut niveau pendant encore longtemps.”