Vainqueur cette nuit à Pointe-à-Pitre, Charles Caudrelier rentre dans l’histoire de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe. Par la grande porte, celle des Ultim 32/23, sur le Maxi Edmond de Rothschild, premier trimaran dessiné dans l’optique du vol océanique par Guillaume Verdier en 2016. La qualité du match qui l’a opposé à François Gabart (SVR Lazartigue) et Thomas Coville (Sodebo Ultim 3), menaçants jusqu’au bout, ne donne que plus de valeur à sa performance, lui le bizuth de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe qui en détient désormais le record : 6 jours, 19 heures, 47 minutes et 25 secondes (avant jury).
Favori au départ, le Maxi Edmond de Rothschild était le premier sur la ligne à Saint-Malo mercredi dernier à 14h15 et cette douzième Route du Rhum – Destination Guadeloupe commençait sur un malentendu. Suspecté d’avoir coupé la ligne de départ trop tôt, Charles Caudrelier fonçait vers la sortie de la Manche, sûr de son bon droit et sans se retourner. Ce n’est qu’après l’analyse de sa trace, comparée aux positions GPS des bouées munies de balises, que le comité de course reconnaissait le lendemain son erreur de visée sur la ligne. La régate pouvait continuer sur des bases saines et c’est tant mieux car elle était serrée.
En quatre virements de bord idéalement placés depuis la Pointe de Bretagne, le Maxi Edmond de Rothschild quittait le golfe de Gascogne et maintenait à distance ses poursuivants. Le match à quatre était rapidement réduit à trois suite à l’avarie le 10 novembre du Maxi Banque Populaire XI, contraint de rentrer à Lorient, dérive cassée.
Intouchable au près.
On savait le plan Verdier très performant au près, et Charles Caudrelier se montrait d’emblée intraitable à cette allure. Naviguant souvent plus haut et un poil plus vite, il est crédité de trente milles d’avance après trente heures de course, pile un noeud d’écart. C’est lui qui dicte le rythme pour aller chercher le premier front stationnaire, dont la traîne mal organisée ne laisse pas la possibilité de piquer plein Sud comme dans les manuels de météo.
Ce n’est que partie remise le samedi avec le second front, plus épais et violent, premier véritable test de charge pour les Ultim 32/23 qui doivent progresser et manoeuvrer dans des vents qui excèdent 35 noeuds au passage des Açores, avec une mer mauvaise. Caudrelier hésite et commet sa seule erreur de trajectoire de toute la transat. « On a fait une petite bêtise avant le front, hier. François est bien revenu. Il allait tout droit, je n’y arrivais pas. J’ai viré quatre cinq fois ce qui m’a demandé une énergie considérable … ». L’espace de deux classements, le 12 novembre, SVR Lazartique est en tête. Comme piqué au vif, Caudrelier fait preuve d’autorité en allant virer l’île de Sao Miguel dans l’archipel des Açores, une option un peu plus engagée que celle de son concurrent direct. Il reprend la main et reconstitue un petit capital de 30 milles sur le bord de reaching suivant où les Ultim 32/23 volent à plus de 35 noeuds, sans s’encombrer d’une mer encore cassante qui commence à faire de gros dégâts dans le reste de la flotte.
Intraitable au portant.
Après trois jours usant au près, place à l’anticyclone des Açores qu’il faut contourner avant de rejoindre l’alizé. C’est dans cette portion du parcours que le Maxi Edmond de Rothschild fait le trou. On imaginait SVR Lazartigue à la fête dans cette phase de transition, lui qui est plus léger et entièrement voué aux lois de l’aérodynamique… Après cinq empannages pour contourner les hautes pressions, c’est pourtant le Maxi Edmond de Rothschild qui pointe le premier ses étraves vers la Guadeloupe. Charles compte jusqu’à 116 milles d’avance, au risque d’être exténué à 1000 milles de l’arrivée : « Je suis tellement fatigué que je n’arrive plus à trouver le sommeil » déclarait-il avant-hier matin en rentrant dans l’alizé, plutôt paisible heureusement cette année, ce qui lui permet de recharger les batteries avant le final.
Si SVR Lazartigue revient souvent à une soixantaine de milles derrière, le leader ne craque pas et contrôle méthodiquement ses concurrents en se plaçant entre eux et la Tête à l’anglais, l’ilot d’atterrissage sur la Guadeloupe. L’expérience acquise sur la Solitaire du Figaro remportée en 2004 et sur trois Volvo Ocean Race (deux victoires, dont une comme skipper) ne s’oublie donc pas, même lorsqu’on repousse au plus loin les limites de l’organisme.
Véloce autour de l’île, Caudrelier passe la dernière bouée de Basse Terre à 02h45 et embouque le canal des Saintes alors que François Gabart est encore à trente milles de la Tête à l’anglais. Dans l’alizé retrouvé, il peut enfin penser à cette victoire acquise de haute lutte.
La conclusion d’un cycle.
Une victoire qui sonne aussi comme celle d’une équipe nommée Gitana. La première à faire du vol la matrice de la performance en se donnant les moyens de fiabiliser un bateau qui, comme d’autres, n’a pas été épargné par la casse (celle d’un flotteur sur l’édition 2018). Jusque boutiste, Gitana a patiemment renforcé, mis au point et fait évoluer la machine, ne se reposant jamais sur ses acquis, jusqu’à changer de foils deux mois avant le départ pour conserver son avance sur la concurrence. La victoire du plan Verdier (également en tête des IMOCA avec Apivia) met fin à la domination du cabinet VPLP qui avait remporté toutes les Route du Rhum – Destination Guadeloupe depuis la victoire de Florence Arthaud en 1990.
Le sacre de Charles conclue aujourd’hui un cycle de quatre ans de travail. Prenant la suite de Sébastien Josse en 2019, Caudrelier a partagé pendant deux ans la barre avec Franck Cammas. Sa connaissance technique du trimaran était totale et Cammas, comme le double de Charles à terre, faisait partie de la cellule de routage. Avec le routeur américain Stan Honey et le navigateur Erwan Israel, ce trio en or aura su trouver les clefs d’un parcours météo complexe.
« Pour gagner disait Charles Caudrelier avant le départ, le talent ne suffit pas. Il faut le bon projet, le bon bateau, la bonne équipe » Démonstration en 6 jours, 19 heures, 47 minutes et 25 secondes (avant jury).