La sprinteuse guyanaise a marqué de son empreinte la deuxième journée orageuse des championnats de France Elite à Angers, en remportant le 100 m en 11’’01. Nicolas-Marie Daru a remporté le combat des chefs sur 3000 m steeple, tandis que Yann Chaussinand, Alice Finot et Hilary Kpatcha ont également goûté à la victoire.

La perf’ : Joseph met le turbo.

Nantie d’une avance plus que confortable sur le papier (trois dixièmes sur les bilans chronométriques), Gémima Joseph a tout de même mis les petits plats dans les grands ce samedi à Angers. Avec ses 11’’01 en finale du 100 m, elle a retranché trois centièmes à son record, pour se retrouver à la quatrième place des bilans de tous les temps. « J’aurais bien aimé descendre sous les 10’’, euh non, les 11’’, pardon », confiait-elle dans un éclat de rire. Après un départ en boulet de canon, comme en finale européenne à Rome il y a quinze jours, elle a cette fois tenu la distance sans se crisper pour s’offrir son premier titre national en Elite sur la ligne droite, qu’elle a particulièrement travaillée cette saison, délaissant ses études de gestion pour se consacrer à l’entraînement.

Il a sans doute « manqué un peu de beau temps » à Gemima Joseph pour rejoindre Christine Arron, Muriel Hurtis et Marie-José Pérec dans le clan très restreint des « femmes en 10’’ ». « C’est que ce n’était pas encore le jour pour ça, imaginait cette fervente croyante. Et aux Jeux olympiques, il n’y aura que des coriaces en face de moi, donc je n’aurai pas le choix de faire descendre encore le chrono », se projetait-elle. La Guyanaise avait compris dès les séries qu’elle allait devoir s’employer pour faire respecter son rang : dans la même course qu’elle, Chloé Galet a porté son record à 11’’11 juste avant le déclenchement de l’orage. La sprinteuse du Rou Kou avait répondu sans sourciller à la provocation en 11’’07. En finale, la Nordiste s’est classée deuxième en 11’’14, un centième devant Orlann Olière. En quête du doublé avec le 200 m, « Mima » aura un nouveau défi d’importance à relever dimanche, puisqu’elle retrouvera la médaillée de bronze européenne Hélène Parisot. Le chrono va encore trembler.

Le temps fort : Daru au bout du suspens.

Ils étaient quatre pour trois places sur 3000 m steeple : Nicolas-Marie DaruLouis GilavertAlexis Miellet et Djilali Bedrani. Et ils ont déboulé au coude à coude dans la dernière ligne droite, pour jouer en cent mètres leur qualification olympique. Un scénario de rêve pour les spectateurs, qui s’est achevé sur la victoire surprise du premier nommé, en 8’24’’37. Le militaire de l’AL Echirolles a pris ses responsabilités et a réussi à résister au retour de Gilavert, qui termine deux centièmes derrière lui. « Je n’ai pas été trop attentiste, contrairement aux championnats d’Europe, et j’ai saisi ma chance quand il le fallait, appréciait-il. J’ai tout donné sur la dernière rivière, comme si je jouais ma vie, et j’ai pris la dernière haie comme un mort de faim. » Avec ce premier titre Elite, Daru, qui était en ballotage au niveau du ranking pour Paris 2024 et dont le chrono cette saison était le moins rapide du quatuor, fait un immense pas vers les Jeux olympiques, sa première place lui permettant de n’avoir besoin que d’un ‘’top 32’’ pour devenir sélectionnable. « Mon but aujourd’hui était de gagner, car je ne voulais pas que ma participation reste indécise, et j’ai réussi à le faire, savourait le steepleur de 35 ans. »

Malgré « une petite amertume par rapport à la première place », Louis Gilavert arborait, lui aussi, un grand sourire quelques minutes après l’arrivée. Le sociétaire du Pays de Fontainebleau avait conscience d’avoir participé à une scène d’anthologie : « Quel scénario, quelle densité française, quel plaisir », s’exclamait-il. Troisième heureux de la course, Alexis Miellet, encore incertain ce matin après une blessure survenue il y a dix jours, a réussi à assurer l’essentiel en se classant troisième en 8’25’’27, après avoir débordé Djilali Bedrani (SATUC Toulouse Athlé) après l’ultime obstacle. Le vice-champion d’Europe, quatrième en 8’25’’27, pourrait être le grand perdant du jour, même s’il faudra attendre la décision du comité de sélection.

Le chiffre : 9.

En empochant le titre national au disque ce samedi, Lolassonn Djouhan a coiffé sa neuvième couronne nationale en plein air. C’est, certes, beaucoup moins que l’incomparable Mélina Robert-Michon, mais il n’est plus qu’à une unité des détenteurs du record masculin, Jean-Claude Retel (1992-2006) et Pierre Alard (1956-1967). Le Martégal y a ajouté un nouveau record des championnats, avec 63,56 m. Cela pourrait lui permettre de se replacer dans les clous du ranking en vue d’une qualification aux Jeux olympiques. Cela valait bien une petite danse à la sortie de la cage. « J’ai longtemps lancé le disque sans savoir pourquoi. Désormais, je prends du plaisir et j’ai enfin des vrais objectifs », narrait-il.

Les adieux : Lesueur-Aymonin, Compaoré, Tamgho et Lemaitre tirent leur révérence.

C’est une page de l’histoire de l’athlétisme français qui s’est tournée ce samedi. Celle de la génération triomphante du début des années 2010, dont quatre des plus éminents représentants ont été ovationnés par les nombreux spectateurs installés dans les tribunes de la ligne droite principale et sur le pourtour en herbe du stade Roger et Josette Mikulak. La journée a été autant arrosée d’averses que de larmes. Celle d’Eloyse Lesueur-Aymonin notamment, admirable vice-championne de France de la longueur avec 6,66 m (-1,1) derrière Hilary Kpatcha (6,70 m), qui retrouve la première place cinq ans après son dernier sacre. Les deux femmes ont terminé dans les bras l’une de l’autre, offrant un beau passage de témoin symbolique. « Je m’étais dit que le point final aurait lieu ici ou à Paris. Eh ben, c’est ici, constatait la double championne d’Europe en plein air et championne du monde en salle. J’ai aimé chacun de mes titres de champions de France, comme chacune de mes défaites et chacune de mes blessures. C’est ce qui me constitue aujourd’hui en tant que femme, maman, athlète, amie. J’ai aimé toute ma carrière comme elle est et je ne la changerais pour rien au monde. »

Christophe Lemaitre, dont la fin du parcours international avait été annoncée jeudi, avait aussi les yeux embués lorsqu’il a été présenté au public en début de programme. Le recordman de France du 200 m a reçu une longue standing ovation, avant de prendre le micro pour remercier ses proches et rappeler tout ce que l’athlétisme lui avait apporté, sous les yeux de plusieurs de ses camarades de club de l’AS Aix-les-Bains, dont les ex-sprinters Pierre-Alexis Pessonneaux et Manuel Reynaert.

Toujours aussi à l’aise à l’oral, Benjamin Compaoré, 7e de la finale du triple saut avec 16,34 m, a offert un vibrant plaidoyer pour l’athlé, le sentiment du devoir accompli chevillé au corps. « Les années précédentes, je ne sentais pas l’envie de m’arrêter, confiait l’athlète du CA Montreuil 93. Cette fois, c’est une évidence. J’ai pris beaucoup de plaisir et j’ai beaucoup donné, je pars avec l’esprit léger. » Teddy Tamgho, 5e avec 16,47 m, a pris sa suite au micro pour annoncer également la fin de sa carrière, après un come-back qui aura forcé le respect. Place désormais à la relève, incarnée notamment par le revenant Melvin Raffin, qui fut d’ailleurs un temps l’élève du champion du monde 2013, et qui est allé chercher l’or à son sixième et dernier essai avec 16,83 m (+1,3).

La décla :

Alice Finot, championne de France du 3 000m steeple : « J’ai passé la journée comme si c’était un entraînement. J’ai d’ailleurs doublé et je crois que j’en ai fait un peu trop ce matin (rires). J’ai fait le tour du lac, sauf qu’il était plus long que je ne le pensais. »

Déjà tournée vers les Jeux olympiques, Alice Finot enchaîne les séances. Même un jour de championnats de France. Et si le tour du lac de Maine s’est avéré un peu plus long que prévu lors de son entraînement matinal, la fondeuse du CA Montreuil 93 s’est imposée ce samedi soir en finale du 3000 m steeple en 9’29’’78, effaçant des tablettes le vieux record des championnats d’Elodie Olivares (9’37’’04 en 2002). La championne d’Europe a pu compter sur un lièvre de luxe en la personne de Flavie Renouard, puisque la Normande a pris dès le départ les commandes de la course et s’est d’ailleurs rassurée, avec une médaille d’argent en 9’33’’73. « Je suis restée tranquillement derrière Flavie et j’ai fait le travail au moment nécessaire pour pouvoir gérer mes passages dans le contrôle », expliquait Alice Finot, qui va désormais pouvoir se tourner vers le meeting de Paris dimanche prochain, où l’attendent la recordwoman et la championne du monde.

Et aussi : Yann Chaussinand sans forcer.

Yann Chaussinand a conservé son titre national au marteau en lançant son engin à 78,37 m. Le lanceur du Clermont AA a pourtant dû composer avec un dos douloureux depuis la finale des championnats d’Europe, et un plateau rendu très humide par les averses du début d’après-midi. Il pouvait donc se montrer plus que satisfait de sortir « ce genre de performance au vu du contexte, c’est de bon augure pour les prochaines semaines ». Deuxième place amère pour Quentin Bigot, avec 74,67 m, qui ne devraient pas suffire pour être de l’aventure Paris 2024, malgré tout le travail entrepris pour revenir au plus haut niveau après une année blanche.

Alizée Minard, avec un meilleur jet à 56,95 m au javelot en début de soirée, et Franck Elemba Owaka, auteur d’un jet à 19,79 m au poids, se sont montrés les plus forts de l’Hexagone dans leur spécialité. A la perche, Marie-Julie Bonnin s’est offert une bonne rasade de confiance en même temps que le titre national en étant la seule à franchir 4,48 m. Elle a ensuite tenté 4,62 m, et n’est pas passée loin de réussir son envolée au dernier essai.

Pizzo et Mornet chantent sous la pluie.

Les courses de demi-fond ont charrié leur lot de surprises sur le tartan angevin. Romain Mornet a cueilli Azeddine Habz, qui a mis le feu aux poudres à 250 m de l’arrivée du 1500 m, et Maël Gouyette dans les vingt derniers mètres, en 3’43’’76. Charlotte Pizzo a opté pour une stratégie diamétralement opposée, puisqu’elle a été la seule à suivre Agnès Raharolahy, autrice d’un départ explosif sur le 800 m. La Bellifontaine a réussi à garder les commandes de la course après s’en être emparé à la cloche, et a battu son record pour la deuxième fois en une semaine, en 1’59’’93. Partie de trop loin, Anais Bourgoin est venue mourir à la deuxième place (2’00’’20), devant Clara Liberman.

Zézé surgit au bon moment.

Les spectateurs présents en tribunes espéraient beaucoup de Pablo Matéo sur 200 m, puisqu’il avait annoncé un gros chrono suite à sa victoire sur la ligne droite la veille. Ils n’ont finalement vu que Ryan Zézé, ou presque. Le sprinter du Stade Bordelais a survolé la course toute en puissance pour s’imposer en 20’’37 (+1,1). Pauline Lett n’était pas non plus la plus attendue sur le 100 m haies, mais elle est venue glaner un deuxième titre national, sept ans après le premier. Avec cette fois un bien meilleur chrono, puisque ses 12’’94, enregistrés aussi bien en finale qu’en séries, constituent son nouveau record. A Marseille en 2017, elle l’avait emporté en 13’’37.

Enfin, les locaux ont régalé leur public ce samedi, puisqu’Amandine Brossier et Gabriel Bordier ont conservé leur titre. La sprinteuse du SCO Angers a même réalisé le quatre à la suite sur 400 m, mais elle ne masquait pas sa déception de ne pas avoir réussi à s’affranchir des minima olympiques (52’’08 contre 50’’95 exigés), pas aidée par une averse intense. Sa jeune camarade Alexe Déau lui a donné du fil à retordre jusque dans les derniers hectomètres, et a pris la médaille d’argent en 52’’35. Le marcheur de l’US Saint-Berthevin s’est chargé de conclure la journée en dominant Kevin Campion dans la deuxième moitié du 10 000 m marche. Il a rallié l’arrivée dans le très bon chrono de 39’00’’49.