Louise Maraval et Shana Grebo se sont livrées un duel d’anthologie sur le 400 m haies des championnats de France à Angers ce dimanche, conclu par deux chronos sous les 54’’. Gabriel Tual a dominé la guerre fratricide du 800 m, tandis que Sasha Zhoya a conquis une nouvelle victoire sur le 110 m haies.

La perf’ : Grebo et Maraval régalent.

Elles s’étaient promises une grosse finale, pour se donner une chance d’être deux à Paris, et elles ont tenu parole. Louise Maraval et Shana Grebo ont fait lever le stade Mikulak d’Angers, dimanche après-midi. Les deux ne se sont pas lâchées d’un centimètre pendant l’intégralité de leur tour de piste, et se sont retrouvées au coude à coude, quasi main dans la main, à la réception de la dernière haie. Quarante mètres plus loin, c’est bien la vice-championne d’Europe qui a triomphé, pour une poignée de centièmes : 53’’71 contre 53’’78 pour la Bretonne expatriée dans l’Oregon. « On savait qu’avec une course à la bagarre, ça pouvait aller très, très vite, donc on avait hâte de courir l’une contre l’autre », synthétisait Maraval. « C’était très chaud, j’ai vu qu’elle en remettait une couche après la dernière haie… La dernière ligne droite a vraiment été très dure », soufflait-elle. « Très heureuse » de conserver sa couronne, la Vendéenne l’était tout autant de savoir qu’elle ne serait pas la seule Bleue au départ du 4H aux Jeux de Paris. « On sera deux, et ça c’est top. »

Sitôt arrivée, sitôt repartie, Shana Grebo a enchaîné avec la finale du 200 m (6e en 23’’83) une demi-heure plus tard, comme si son exploit ne suffisait pas. « J’avais même dit à mon coach il y a quinze jours que je voulais faire le 400 m, en plus. Il m’a dit que j’étais tarée, alors que pourtant, les Américains, ils aiment enchaîner ! », se marrait-elle. « Louise ne voulait pas partir à Paris sans moi, et je ne voulais pas qu’elle parte sans moi », reprenait-elle, pour revenir sur son exploit. « Les minima, j’y croyais, puisque j’étais à huit centièmes la semaine dernière. Les exploser d’une seconde, ça non. Mais je me sentais prête physiquement et surtout mentalement. J’ai l’impression que sur des saisons comme ça, le mental fait 75 % de la performance. J’ai réussi à rester calme et à ne pas m’éparpiller, grâce à mon entourage. » Désormais à une demi-seconde du record de France de Marie-José Pérec, les deux coureuses de 23 (Maraval) et 24 ans (Grebo) attendent avec impatience de se retrouver à nouveau face à face lors d’une prochaine course. Et un paquet de monde aussi.

Le temps fort : Tual, un 800m de patron.

Gabriel Tual est sur un nuage depuis les championnats d’Europe de Rome et, visiblement, ne compte pas en redescendre de sitôt. Le médaillé d’or en Italie a survolé la finale du 800 m avec, à la clé, un nouveau temps de référence en 1’43’’99, synonyme de record des championnats explosé (ancien record : 1’45’’47 par Pierre-Ambroise Bosse en 2014). Si tout le peloton a été surpris par la stratégie de Youssef Benzamia, qui a dynamité la course dès le départ en passant à mi-course en 50’’68, Gabriel Tual s’est calé dans sa foulée et, après avoir pris la tête dans la ligne droite opposée, n’a jamais été inquiété dans les deux cents derniers mètres. Du tableau noir. « Entre les Europe et Rome, je ne vois pas ce que je peux rajouter, constatait d’ailleurs, sans forfanterie, l’élève de Bernard Mossant, qui a conservé sa couronne nationale. Les chronos parlent d’eux-mêmes, la forme et l’esprit mental aussi. C’est incroyable ! Je prends de plus en plus confiance. »

S’il se savait en grande forme, Gabriel Tual ne faisait pas le fier à l’échauffement. Car comme tous les athlètes en lice, il savait que la course allait faire office de couperet, avec quatre athlètes sélectionnables pour les Jeux olympiques et seulement trois billets délivrés. « Aux Europe, il y avait moins de pression, reconnaissait le désormais huitième meilleur performeur français de tous les temps. Là, tu joues la qualif aux Jeux, et quand tu t’entraînes plusieurs années pour ça, il y a forcément de la pression et il ne faut pas s’écrouler. »

Un sentiment qu’ont aussi ressenti Benjamin RobertCorentin Le Clezio et Yanis Meziane. Le premier nommé, qui disputait seulement sa deuxième course de l’année, était seulement cinquième à la cloche mais n’a jamais paniqué, pour finalement couper la ligne d’arrivée en deuxième position, en 1’44’’99. « Chapeau à Gabriel, je voulais gagner mais il a clairement été le meilleur. Dans la saison, il y a cinq courses à gérer. J’en ai réussi deux, il m’en reste trois », soulignait l’athlète coaché par Sébastien Gamel, en faisant allusion à Paris 2024.

Un événement vers lequel Corentin Le Clezio a aussi fait un grand pas, si l’on s’en réfère aux modalités de sélection qui, dans les épreuves avec plus de quatre athlètes sélectionnables, faisaient des championnats de France le juge de paix. Le Francilien, outsider sur la distance après avoir réalisé in extremis les minima en 1’44’’25 il y a une semaine, a su saisir sa chance. Encore septième à un demi-tour de l’arrivée, il a réalisé une dernière ligne droite dont il a le secret pour déborder dans les derniers mètres Yanis Meziane, un peu juste après des dernières semaines d’entraînement perturbées par une tendinite. « C’est clairement la plus belle course de ma carrière, savourait le Val d’Oisien, 3e en 1’45’’23. J’ai joué sur ma force. Il fallait que je reste au contact jusqu’au dernier 200 m. C’est passé, c’est juste ‘’ouf’’. »

Une joie qui contrastait avec la détresse de Yanis Meziane. Allongé sur la piste pendant de longues secondes, puis en larmes dans les bras de Benjamin Robert, le champion d’Europe U23 l’an dernier a sans doute vu son rêve olympique s’envoler au bout d’une course bouclée en 1’45’’47. « On était au courant des modalités, il fallait que je sois meilleur aujourd’hui, c’est la dure loi du sport mais c’est frustrant », soufflait-il, très digne devant la presse. Dans une épreuve où l’on partage la souffrance et l’acide lactique, la solidarité n’est pas un vain mot. Et les trois coureurs qui l’ont devancé ont tous eu quelques mots pour lui. A l’image de Gabriel Tual : « Je pense que ça doit être dur pour lui. Je lui donne toute ma force et tout mon courage pour qu’il se remette bien. Il va se relever, j’en suis sûr. »

La promesse : Zhoya, déjà saignant.

Rien ne pouvait l’arrêter. Même un starting-block qui glisse, comme ce fut le cas en séries. Sasha Zhoya, parti plusieurs longueurs derrière l’ensemble des concurrents après avoir levé le bras pour demander un rappel des starters, sans réussite, a réalisé une remontée phénoménale pour prendre la deuxième place de sa course en 13’’84, et se qualifier pour la grande explication. Impressionnant pour ce qui était son 110 m haies de rentrée, le hurdler du Clermont Auvergne Athlétisme ayant dû composer avec une douleur au tendon d’Achille depuis le printemps.

En finale, il a dû « changer de pied de départ » par rapport à d’habitude pour éviter la même mésaventure. Ce qui ne l’a pas empêché de l’emporter haut la main en 13’’32 face au vent (-1,1). « Je ne suis pas totalement content, je suis capable de sortir une meilleure course », jugeait le finaliste mondial à Budapest, qui bénéficie du statut d’athlète prioritaire dans le cadre de la sélection pour les Jeux. Désormais triple champion de France, il espère être parti pour une très longue série. « J’ai envie d’accumuler le plus de titres de champion de France d’affilée et d’essayer de faire toute ma carrière sans me faire ‘’taper’’ », prévenait-il. La suite ? Le meeting de Paris dimanche prochain puis, s’il obtient un couloir, celui de Monaco (12 juillet), « pour pouvoir corriger les fautes que j’ai faites aujourd’hui », avant le rendez-vous olympique pour lequel il se considère encore largement dans les temps.

Si la victoire du prodige franco-australien n’est pas une surprise, la présence à ses côtés, sur le podium, de son camarade d’entraînement Erwann Cinna et de Romain Lecoeur était moins attendue. Le premier a égalé sa meilleure performance de la saison en 13’’48 pour décrocher l’argent, mais avait un goût un peu amer en bouche puisqu’il espérait s’offrir du même coup les minima olympiques (13’’27), alors que le second a terminé en 13’’53 pour obtenir le bronze. Alors qu’Aurel Manga, opéré de l’appendicite début juin, était finalement non partant en séries, les deux derniers athlètes actuellement sélectionnables pour les Jeux, Raphael Mohamed et Wilhem Belocian se sont respectivement classés 4e et 8e en 13’’63 et 13’’79.

La décla : « J’espère m’envoler pour Paris ! Enfin, m’envoler, façon de parler, c’est chez moi, c’est ma ville natale. »

Muhammad Abdallah Kounta était sur un petit nuage après avoir remporté le 400 m en 45’’19. Le sprinter de l’EFS Reims Athlétisme a collé une sacrée claque à son record personnel, établi il y a trois ans au même endroit (46’’05). Un dénouement inattendu pour celui qui a connu une année 2024 loin d’être idyllique. « J’ai perdu mon père il y a quelques mois, et j’ai pensé arrêter ma saison. Des personnes m’ont poussé à me relever et je les remercie beaucoup. Mon schéma du jour était simple : gagner. Il n’y avait pas d’autres options, et je savais que j’allais le faire. Il n’y a pas de surprise. » Présent à Rome au sein du collectif 4×400 m, il a fait un grand pas pour renouveler l’expérience dans la capitale française dans un mois.

Et aussi : Le doublé pour Gémima Joseph.

Le duel très attendu entre Gemima Joseph et Hélène Parisot a tourné à l’avantage de la première nommée sur le 200 m. Bien que fatiguée par l’énergie dépensée pour remporter le 100 m samedi et celle laissée lors d’une série courue à bloc, la sociétaire du Rou Kou a réalisé un virage de toute beauté. « L’objectif était de rattraper toutes les filles devant pour sortir en tête du virage et rester devant à tout prix », expliquait-elle devant les journalistes, le drapeau guyanais fièrement noué autour des hanches. La ligne droite fut éprouvante, mais elle a tenu la distance, pour couper la ligne en 22’’62, trois dixièmes devant la médaillée européenne. « Je n’aurais pas pu en remettre, je n’avais plus rien en réserve ! », avouait Mima, qui s’apprête à enchaîner encore plus aux Jeux olympiques, avec les deux distances et le relais 4×100 m.

Le spécialiste du 400 m haies Wilfried Happio ne peut prétendre qu’à une seule médaille d’or à chaque édition, mais c’est déjà le sixième titre consécutif (en 49’’54) pour le jeune papa, qui a pu relâcher son effort après le dernier obstacle. « On m’a dit que seule Mélina Robert-Michon en avait plus que moi à la suite. Mais rassurez-vous, je ne vais pas faire la course avec elle, je n’ai pas les jambes pour ça », se marrait-il. Mélina, elle, a empoché une nouvelle couronne au disque, à la faveur d’un meilleur jet mesuré à 60,30 m. La Lyonnaise a encore du mal à retranscrire en compétition ses sensations de l’entraînement, et regrettait de ne pas avoir poussée plus loin par Amanda Ngandu-ntumba, deuxième avec 59,70 m.

La logique a aussi été respectée à la perche, avec la victoire de Thibaut Collet. Le sociétaire de l’EA Grenoble est plus que jamais le patron de la discipline dans l’Hexagone, avec un troisième titre national consécutif. Malgré un vent tourbillonnant très compliqué à gérer, le troisième meilleur performeur français de tous les temps (5,95 m) a effacé une barre à 5,82 m au deuxième essai, avant de s’attaquer sans succès à 5,96 m, sous les yeux des plusieurs centaines de spectateurs massés dans les gradins herbeux surplombant le sautoir ensoleillé. Anthony Ammirati termine 2e avec 5,60 m et devance aux essais Robin Emig et Renaud Lavillenie, qui ont terminé à la même hauteur. Le double médaillé olympique, qui jouait son va-tout pour une qualification olympique dans la cité angevine, n’a pas été en mesure de tenter les minima pour Paris (5,82 m), après avoir coincé à 5,72 m. « Je ne suis pas comme mes camarades, je n’annonce pas ma retraite, a-t-il déclaré en souriant au micro du speaker, dans la foulée du concours. Je ne vais pas me fixer de limites. »

Toujours dans les sauts, Tom Campagne a décollé à 8,05 m (-0,4) à la longueur lors de sa deuxième tentative et peut attendre le comité de sélection pour les Jeux olympiques l’esprit libéré. Avec sa médaille d’or, il lui suffit d’un top 32 au ranking pour devenir sélectionnable, ce qui devrait être largement le cas. Nawal Meniker, également en très bonne position pour Paris, a décroché son premier titre de championne de France Elite avec 1,90 m, mais s’en voulait beaucoup après avoir échoué à 1,92 m en raison, selon elle, d’un blocage mental.

Enfin, la médaillée de bronze européenne Agathe Guillemot, en plein stage de préparation en altitude à Font-Romeu, n’a pas fait le voyage pour rien. En plus de la victoire, elle est allée chercher le record des championnats en 4’07’’00 de Hind Dehiba Chahyd (4’08’’17), en ayant assumé le train en tête de course du premier au dernier mètre. Elle a emmené dans sa foulée Aurore Fleury, 2e en 4’08’’20, et Katia Delarche, 3e en 4’08’’58, nouveau record personnel. La demi-fondeuse du Haute Bretagne Athlétisme, qui a aussi effacé des tablettes cette année le record de France indoor de la Franco-Marocaine, a désormais le record de France (3’59’’76) de cette dernière dans le viseur.

L’œil de Romain Barras : “Ces championnats de France ont été exceptionnels. La tension qu’il y avait dans beaucoup d’épreuves, je pense qu’on n’est pas capable de s’en rendre compte tant qu’on ne l’a pas vécue. Ce que vivent les athlètes est incroyable mais aussi très intense. J’ai vraiment une pensée pour ceux pour qui ça s’est bien passé, mais aussi pour ceux pour lesquels ça a été moins le cas. Il y a eu de la dramaturgie pendant ce week-end. C’est pour cela qu’aux Etats-Unis, les Trials sont aussi suivis. Il y a cet effet ‘’ça passe ou ça casse’’. Aujourd’hui, on fonctionne comme ça aux France (dans les épreuves avec plus de trois athlètes sélectionnables, prime est donnée au résultat des championnats de France, NDLR), même si l’on n’a pas le même réservoir et donc qu’on rend certains athlètes prioritaires. Ça donne des scénarios incroyables.”