Le skipper de Sodebo Ultim 3 a franchi la ligne ce jeudi, à 14 heures 42min et 40 secondes. À 55 ans, Thomas Coville aura mis 53 jours 1 heure 12 minutes et 40 secondes pour boucler ce tour du monde. Il s’agit de sa 9e circumnavigation, sa 7e en multicoque, sa 5e en solitaire. Le marin, sans nul doute le plus expérimenté en multicoque, n’a pas été ménagé par les conditions météorologiques et a dû faire face à nombre de pépins techniques. Pourtant, il a su résister, tenir bon et aller au bout.
C’est lui qui fait partie des premiers à y avoir cru et comme toujours il y a mis les bons mots. Avant de s’élancer sur l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest, Thomas Coville parlait d’une course qui « marquera l’histoire » et avait la sensation de « faire partie des pionniers ». Sur un tour du monde, il sait que le dépassement de soi « ne suffit pas » : « on va chercher une part de douleur, d’abnégation, de découverte… D’une certaine façon, il s’agit d’une expédition ». Celle-ci débute par un regard ému sur les quais de Brest, une accolade chaleureuse avec Tom Laperche (« protège-toi de ton courage » lui dit Thomas), un clin d’œil à Olivier de Kersauson, un clapping avec la foule… Puis le grand saut.
“Ça ressemble un peu à Apollo 13”
Légèrement en retrait d’un point de vue des résultats lors des dernières courses, avec un bateau optimisé en 2023, Thomas démontre au contraire sa solidité et la performance de sa machine lors des premiers jours de course. Il est dans le match lors de la première dépression, de la bascule à Madère et de la descente vers l’équateur. En s’approchant des côtes du Brésil, il espère basculer dans le même système météo que la tête de course mais peu avant l’entrée dans l’océan Indien il est victime de la casse de son système de descente de foil tribord. Il faut la laisser s’échapper et réparer surtout, ce qui lui prendra plusieurs jours. « Ça ressemble un peu à Apollo 13 : tu es tout seul avec quelques outils, ta main, ta tête, ton énergie et tu œuvres en petite fourmi ».
Alors qu’il progresse dans l’océan Indien, que Tom Laperche a abandonné et que Charles Caudrelier est déjà loin, Thomas lutte pour se frayer un chemin. “Je dois trouver un couloir entre des masses d’air qui se rejoignent, s’entrechoquent et génèrent des phénomènes violents et erratiques”, confie-t-il alors. Les systèmes météos ne sont jamais vraiment favorables, ce qui l’oblige à redoubler d’effort et de vigilance. Le corps souffre, le bateau aussi. Le skipper de Sodebo Ultim 3 décide de s’arrêter en Tasmanie pour réparer le balcon avant et le filet de protection bâbord qui n’a pas résisté aux chocs. Il retrouve le large deux jours plus tard et a l’une des plus belles formules de cette aventure : “repartir, c’est comme un cœur qui recommence à battre.”
“S’adapter, c’est une part intégrante de notre sport”
La suite est tout aussi exigeante, prenante, virulente. Mais Thomas s’accroche, il revient même sur Armel Le Cléac’h dans le Pacifique – “c’est un privilège de disputer un match avec lui” – et offre à tous ceux qui le suivent depuis la terre ses bons mots et ses réflexions. Ému aux larmes après son passage du cap Horn, il assure : « pendant longtemps, on se dit qu’il ne faut pas craquer parce qu’il n’y a personne. C’est hostile, sauvage, impressionnant et on nous a laissé passer ». Quelques jours plus tard, Thomas s’extasie pour un coucher de soleil : “c’est pur, photogénique, facile.” Le skipper se résout parfois à la fatalité – « on ne peut pas faire grand-chose contre le temps qui passe » – mais ne renonce à rien : “J’ai toujours eu l’impression d’avoir donné tout ce que j’avais dans mes tripes.”
Dans ses vidéos, son regard pensif réhausse des cernes un peu plus creusés, une barbe poivre et sel est apparue, les cheveux sont toujours un peu en bataille : il a les mêmes attributs que les aventuriers qui l’ont fait rêver. Et puis il doit avec composer une météo capricieuse, la mer jamais clémente ces temps-ci dans l’Atlantique Nord et un bateau qui grince après sept semaines d’effort. En somme, Thomas s’adapte, comme il l’a toujours fait, comme une façon bien à lui de s’inscrire dans le sillage des plus grands. « S’adapter, c’est une part intégrante de notre sport, confiait-il il y a quelques jours. Les bricoles de Bernard Moitessier, l’inventivité d’Yves Parlier, l’abnégation de Loïck Peyron… » Deux jours avant de franchir la ligne, il a trouvé une autre formule qui fait sourire, à l’adresse du vainqueur : « désolé Charles, je ne vais pas pouvoir être présent à ton arrivée (…). Sincèrement, humblement, un grand bravo ». Thomas Coville n’est pas seulement régatier, aventurier, conteur et bricoleur à ses heures, c’est aussi un gentleman en mer comme à terre.
La course de Thomas Coville en chiffres :
Date et heure d’arrivée : jeudi 29/02 à 14 heures 42 minutes et 40 secondes
Temps de course : 53 jours 1 heure 12 minutes et 40 secondes
Milles parcourus : 31 217,12 milles
Vitesse moyenne réelle : 24,52 nœuds
Vitesse moyenne sur l’orthodromie : 19,09 nœuds
Ecart au premier : 2 jours 6 heures 4 minutes et 58 secondes