Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild), leader de l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest sans discontinuer depuis l’Atlantique Sud, devrait passer à 215 milles de cet intrigant point Nemo, ce jeudi matin. Il s’agit du point du globe le plus éloigné de toute terre : les hommes qui en sont le plus proches sont ceux qui occupent la station spatiale internationale (ISS) en orbite à 400 km d’altitude ! Explications autour de ce « pôle maritime d’inaccessibilité » qui cultive certains mystères.
Le milieu de nulle part existe, à 48°52’sud, 123° 23’ouest. Bienvenue au point Nemo, le point le plus distant de toutes les côtes terrestres. À l’origine de sa découverte, un ingénieur croato-canadien, Hroje Lukatela. Lui n’a pas vraiment l’âme d’un marin, plutôt d’un ingénieur spécialiste des cartes et de géodésie (une science qui étudie l’origine des cartes). Il travaille chez IBM en Croatie avant de s’engager pour des institutions au Canada et de créer des librairies informatiques. Et puis, il y a 32 ans en 1992, il calcule « le pôle maritime d’inaccessibilité », que l’on appelle plus communément “le point Nemo”.
Même les animaux marins ne s’y aventurent pas.
Situé au cœur de l’océan Pacifique, il est donc éloigné de 2 688 km des premières terres, l’île Ducie et l’île Motu Nui, à proximité de l’île de Pâques, l’endroit habité le plus proche. Sur son site internet, Hroje Lukatela en parle comme d’une prouesse mathématique. « Le calcul a été effectué avec une résolution numérique supérieure à 1 millimètre », écrit-il, tout en rappelant qu’il a fallu composer avec « l’évolution constante du littoral avec l’érosion et la dérive des continents ».
Il s’agit donc d’une curiosité mais qui n’a ni la saveur, ni la riche histoire du Cap Horn que Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild) devrait franchir en fin de semaine. « Le fait que ce ne soit pas une île, pas un volcan, pas un endroit habité mais juste un point géographique n’a pas une valeur signifiante pour les marins » précise Fred Le Peutrec, skipper confirmé et membre de la direction de course de l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest.
La notion de point Nemo étant récente, elle ne fait donc que matérialiser mathématiquement l’idée d’un fort éloignement avec la terre ressenti par tous les marins qui traversent le Pacifique. Hormis les coureurs au large lancés autour du monde, comme c’est le cas actuellement, rare sont les hommes à s’y aventurer. Et c’est aussi le cas des animaux : un océanographe américain, Steven D’Hondt, de l’Université de Rhode Island, a établi qu’il s’agissait de « la région biologiquement la moins active du monde ».
Un lieu propice aux mystères.
Cette absence de particules et de matière vivante offrirait pourtant un charme particulier à l’endroit. « Par temps calme, la surface de la mer dans cette zone du Pacifique est tout bonnement magnifique, du bleu à des tons violets », ajoute l’océanographe, cité dans un article de Slate.
Surtout, l’isolement du point Nemo est propice à en faire un lieu de mystères et de légendes. Ce n’est pas un hasard s’il se nomme « point Nemo ». Cela ne fait pas référence au poisson-clown inventé par les studios Disney, mais au capitaine Nemo, le commandant de Vingt mille lieues sous les mers, imaginé par Jules Verne, qui souhaite fuir le monde des hommes.
Parmi les mystères en question, l’existence supposée d’une cité fictive, R’lyeh. D’après les écrits d’Howard Phillips Lovecraft, maître des récits fantastiques, c’est là que serait prisonnier un monstre géant à tête de pieuvre, le Cthulhu.
Par ailleurs, les coordonnées de la ville engloutie correspondraient au point Nemo. Dans la même zone, en 1997, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) détecte un bruit étrange venu du fond de la mer. Un bruit à la puissance inégalée, dont la fréquence s’étendrait sur plus de 5 000 km. Les scientifiques donnent un nom à ce son, le Bloop, et tous conviennent qu’il est trop puissant pour être produit par un animal.
Paul Meilhat, l’avarie qui était mal tombée.
Ensuite, les spéculations vont bon train. Et si le Cthulhu existait vraiment ? Et s’ils s’agissaient de sirènes comme le laisserait penser un documentaire (Mermaids : The Body Found) diffusé par Discovery Channel en 2012 ? Dans la foulée, la NOAA publie une étude qui révèle que ces « sons à large spectre » correspondent à “des tremblements de glaces générés par de grands icebergs qui se fissurent”. En somme, à chaque fois qu’un iceberg se fracture dans l’océan, le bruit sous-marin qu’il génère peut se détecter à quelques milliers de kilomètres de là.
Sur l’eau, il n’y a donc quasiment que les skippers de course au large qui se rapproche du point Nemo en passant par le Sud. Personne ne souhaite s’y attarder : la position géographique du point complique en effet l’intervention d’éventuels secours. Tous conservent en tête l’avarie de Paul Meilhat, lors du Vendée Globe 2016. Alors en 3e position, il avait cassé son vérin de quille hydraulique à ce niveau-là. “C’était assez difficile de se mettre à l’abri puisque c’est le point le plus éloigné de la terre, confiait-il récemment. Mais nous avons trouvé une solution et je m’étais dérouté vers la Polynésie française. Il m’avait fallu 8 jours pour y arriver”. Loin de tout, plus que jamais, les skippers aspirent donc à n’être que de passage dans cette zone, dont les mystères ne sont pas encore tous dissipés…