Ali Bouziane vient de terminer sa première saison en tant que coach principal à l’EAB, entre le titre de Leaders Cup, la participation aux playoffs et la nomination dans les trois meilleurs entraîneurs de l’année, il revient avec nous sur la très belle saison de son équipe et sur ce qu’il espère pouvoir construire lors du mercato pour la saison prochaine.

Vous êtes arrivé à l’EAB en début de saison pour remplacer Sylvain Delorme qui est parti vers Rouen, comment s’est passée votre adaptation au sein du club ?

« C’est très difficile de passer derrière un coach qui a effectué une montée. Sylvain Delorme est monté avec le club de N1 à Pro B puis a décidé de changer d’air et de quitter le club. Forcément pour le coach qui va arriver, passer derrière un coach qui a réussi, c’est beaucoup plus difficile que de passer derrière un coach qui a échoué. Le challenge était donc important. Il y avait beaucoup d’attentes et forcément, je savais qu’il y aurait des comparaisons faites par les médias et l’entourage du club. On m’a beaucoup parlé de Sylvain (Delorme) et on m’a beaucoup comparé à lui. Mais c’est une chose que j’attendais et je m’y étais préparé. Personnellement, je l’ai plus vu comme un challenge que comme une pression. Et au bout de quelques semaines, les gens ont pu voir que j’avais ma propre personnalité, ma manière de travailler et mon propre projet de jeu. Finalement, malgré le changement de coach, de joueurs et surtout de division, l’EAB a continué à performer dans le bon sens. »

C’est une fierté ?

« La fierté que je ressens est plutôt liée à l’évolution des joueurs individuellement et à l’évolution du club plutôt qu’à mon challenge individuel de me dire que j’allais passer derrière un coach qui a réussi et qu’il fallait que je me fasse ma place. Mais évidemment si je dois parler sur le plan individuel, avoir réussi ce challenge-là est plutôt satisfaisant. »

En plus, vous arriviez en coach rookie en début de saison.

« Oui, effectivement, il y avait beaucoup de challenges. Le premier, c’est que c’était ma première saison complète en tant qu’entraîneur pro puisque j’avais déjà réalisé une pige de 11 matchs en Betclic Élite à Chalon-sur-Saône. Et ensuite, l’autre challenge était de réussir à relever un défi par rapport à l’effectif qui était en place d’un maintien avec le plus petit budget du championnat. C’est-à-dire que je suis coach rookie et en plus, je prends une équipe qui est déjà pratiquement faite puisque de nombreux joueurs sont sous contrat. Et pour rajouter encore une contrainte à cela, comme nous n’avons pas de centre de formation, il faut avoir un minimum de 4 joueurs de moins de 23 ans dans l’effectif. Ça fait beaucoup de paramètres à prendre en compte. C’est pour ça que ce “challenge », de faire oublier Sylvain Delorme, n’en était pas vraiment un pour moi car il y en avait d’autres plus importants pour le club. »

Avec l’expérience que vous avez accumulée, en tant que personne, mais aussi en tant que joueur quand vous avez joué en Pro A, est-ce que vous avez pu apporter quelque chose en plus à cette équipe ?

« C’est difficile pour moi de comparer puisque je n’étais pas là l’année d’avant. Je peux juste dire que je peux évaluer les choses que j’ai vu s’améliorer au cours de la saison, mais je ne peux pas le comparer avec ce qu’il s’est passé les années précédentes. Mais par contre, effectivement, les dirigeants du club sont venus me chercher, car je cochais plusieurs cases qu’ils recherchaient. Tout d’abord, car j’ai été joueur professionnel dans de grosses équipes comme Gravelines, Paris, Dijon ou encore un club d’Euroligue en Pologne (Arka Gdynia). Mais aussi, car j’ai travaillé dans un centre de formation d’une grosse structure à Chalon-sur-Saône. Donc ce qui a plus aux dirigeants, c’est mon expérience et ma connaissance du milieu. Quand je suis arrivé, j’ai fait mon état des lieux du club puis nous avons commencé à travailler, avec les dirigeants, afin de le structurer et de le professionnaliser au mieux. Et il y avait du boulot, car il faut savoir qu’entre la N1 et la Pro B, il y a un fossé énorme en matière de structure et d’infrastructure. C’est sur ce point-là que je suis heureux d’avoir été suivi par les dirigeants. Ensuite, sportivement, nous sommes fiers d’avoir réussi à faire évoluer les joueurs de cette équipe en les professionnalisant collectivement et individuellement. »

« Nous pouvons dire que nous avons l’un des staffs les plus complets du championnat, et pourtant, nous avons la plus petite masse salariale. »

Pouvez-vous détailler cette professionnalisation ?

« C’est-à-dire qu’on a amené les joueurs à devenir plus professionnels dans leur quotidien et dans leur approche du jeu. Et là, je parle de tout ce qui se passe avant et après l’entraînement, puisqu’on avait beaucoup de jeunes joueurs qu’il fallait accompagner. Nous avons aussi effectué une professionnalisation du staff technique avec les arrivées de mes assistants John Delay et Kevin Pennuen et du nouveau directeur sportif Johan Rathieuville. On avait donc un staff de haut niveau et j’avais insisté, quand on m’a proposé le projet, sur le fait d’avoir deux assistants et un directeur sportif. C’est assez rare en Pro B donc nous pouvons dire que nous avons l’un des staffs les plus complets du championnat, et pourtant, nous avons la plus petite masse salariale. C’était une volonté de ma part, car j’estime que quand nous avons dans un effectif de nombreux joueurs, pour la plupart jeunes, sur lesquels nous avons misé comme Shawn Tanner, Arthur Minkonda, Florian Leopold ou encore Yohan Choupas qui n’avaient rien prouvé avant ou échoué dans leurs expériences précédentes, il est très important d’avoir un encadrement de qualité. Tout ça a contribué à la réussite de cette saison. »

Ces joueurs étaient des paris en quelque sorte ?

« Oui bien sûr et quelque part, nous y étions obligés avec la faible masse salariale dont nous disposions. Et c’est une fierté de se dire qu’aujourd’hui tous les joueurs ont progressé et ont pris de la valeur. Mais ce n’est pas un hasard, car l’accompagnement du staff et l’encadrement ont fait en sorte que ces joueurs ont pu se développer tout au long de la saison. Aujourd’hui, la plupart de ces joueurs sont très courtisés et pour certains, on ne pourra pas les garder, car financièrement, ce ne sera plus possible. »

En début de saison, l’objectif principal est de jouer le maintien, ce qui est tout à fait normal pour un promu. Vous réussissez quand même à vous qualifier pour la Leaders Cup que vous allez remporter par la suite. Est-ce que c’est un hasard ou est-ce que c’est le fruit du travail et d’une bonne cohésion d’équipe entre joueurs, mais aussi avec les dirigeants et le staff ?

« Dans le sport, il n’y a pas de hasard. Il peut y en avoir sur un match, mais sur une compétition ce n’est pas possible. Il peut y avoir des dynamiques, mais c’est forcément le fruit du travail. Le fait d’encadrer cette équipe pour mieux les faire travailler et le fait de les avoir accompagnés dans leur éthique de travail a fait que l’on a pu atteindre ce qui, à la base, n’était pas un objectif. C’est exceptionnel ce qu’on a réalisé sur cette compétition puisqu’on gagne le titre de Leaders Cup en étant invaincu, et on ne peut pas dire qu’on a joué seulement face à des équipes de bas de tableau. Au premier tour, on joue face à Orléans qui descend de Betclic Elite. Ensuite, on joue Evreux qui est le tenant du titre. En quart, on joue Chalon-sur-Saône qui est le plus gros budget de la Pro B. En demi-finale, on gagne contre St Vallier, une équipe un peu plus de notre niveau. Et enfin, en finale, on gagne contre Boulazac qui fait partie des deux ou trois plus gros budgets du championnat et qui était encore en Betclic Élite il y a deux ans. Donc c’est tout sauf du hasard, c’est une bonne préparation, c’est de l’entraînement et c’est le travail de tout un club puisqu’il y a évidemment ce que les joueurs font sur le terrain, mais il y a aussi l’environnement qui met les joueurs à l’aise dans leur vie quotidienne. Le sport de haut niveau, c’est plein de petits détails qui s’accumulent, et le fait de cumuler plusieurs petits pourcentages donne un grand pourcentage. Surtout qu’au début de la saison, tous les médias et les spécialistes nous mettaient derniers du championnat et relégable. »

Avant la dernière journée, le top 8 de Pro B n’était déjà plus atteignable donc vous saviez que vous alliez jouer face au deuxième du championnat. Ironie du sort, ça tombe sur Chalon, que vous connaissez très bien. Quel sentiment avez-vous eu quand vous avez su que vous alliez retrouver ce club ?

« C’était vraiment difficile. J’étais dans une situation compliquée puisqu’on arrive en quart de finale et on tombe sur Chalon qu’on a déjà rencontré quatre fois durant la saison pour trois victoires et une défaite en championnat et en Leaders Cup. J’ai gardé de très bons rapports avec les dirigeants de ce club et on s’écrit assez régulièrement. Mais pour bien comprendre, nous, on joue face à St Quentin lors de la dernière journée de championnat, donc on a le destin de Chalon-sur-Saône entre les mains, puisque si on gagne, ils montent en Betclic Élite. C’était une mission très compliquée puisqu’ils n’avaient perdu qu’un match après prolongation à domicile. Ça aurait donc été un exploit d’aller gagner là-bas et on n’est d’ailleurs pas passé loin de la victoire. Dans tous les cas, on ne voulait pas favoriser une des deux équipes donc on s’est donné à fond. J’estime que Chalon possède une des meilleures structures pour monter en Betclic Élite puisque avant cette année, ça faisait plus de 20 ans que le club évoluait au plus haut niveau français. Donc on les rencontre en playoffs et la situation est quand même crève-cœur puisque même si on gagne, on ne pourra pas monter.* En plus, personne n’avait imaginé une participation en playoffs donc nous n’avions pas prévu de primes ou autre dans le cas où l’équipe irait au bout des playoffs. Donc il n’y avait rien qui puisse nous donner un surplus de motivation pour aller gagner les playoffs. Et dans le même temps, si on gagne, on enlève l’opportunité de monter à un club qui est prêt à rejoindre l’élite. On perd le match chez eux, on gagne à Angers et nous voilà repartie chez eux pour la belle. À ce moment-là, mon état d’esprit était clair, dans tous les cas, je ne serais pas malheureux. C’est-à-dire que si Chalon gagne, je serai heureux pour eux et malheureux pour nous, et si on gagne, je serai heureux pour nous et malheureux pour Chalon, car c’est un club auquel je suis attaché et qui mérite de monter. Donc c’était très difficile à gérer cette série de playoffs. »

Donc la dernière motivation c’était de rendre fier les supporters pendant ces playoffs et mettre un point d’exclamation sur cette belle saison avec cette victoire à domicile ?

« Il fallait qu’on se trouve des motivations. On joue pour nous, on fait ça pour se faire plaisir et pour faire plaisir au public. On veut leur offrir un show et les playoffs, c’est quand même une chance. C’est très dur de réussir à participer aux playoffs et il y a des joueurs par exemple, dans toute leur carrière, qui n’y participent pas une seule fois. Donc nous nous devions de donner du respect et de les honorer. Je suis content que l’équipe ait pu donner aux supporters un vrai match de playoffs, de très haut niveau, à domicile face à Chalon-sur-Saône, qui était quand même précédé par les trois derniers matchs de saisons régulières à Jean Bouin qu’on a joués comme des matchs de playoffs pour nous préparer. Je pense qu’on a offert aux supporters un bon spectacle et qu’on a rempli l’objectif de les rendre fiers de notre équipe. »

« Ce n’était pas agréable de lire des commentaires ou des articles qui disaient que l’EAB allait descendre et serait dernier. »

Dans le même temps, vous êtes nommé dans les finalistes du coach de l’année. C’est une fierté personnelle de voir que les joueurs, les supporters, et même la Ligue aient remarqué ce que vous avez accompli à l’EAB cette saison ?

« Cette nomination n’était pas un objectif. Si on m’avait dit avant de signer mon contrat, avec tous les enjeux et toutes les embûches qu’il y avait au départ, qu’on ferait les playoffs, qu’on gagnerait la Leaders Cup, qu’on se maintiendrait assez facilement et qu’en plus je serais nommé dans les trois finalistes du coach de l’année, je n’aurais pas signé parce que je n’y aurais pas cru. Et c’est une fierté pour plusieurs raisons. Déjà, parce que ça valide le choix des dirigeants, notamment Johan Rathieuville, de m’avoir fait confiance en venant me chercher parce que ce n’était pas un choix facile. Ensuite, ça valide aussi le travail qui a été fait tout au long de la saison par le staff, parce que quand on est nommé dans les trois meilleurs coachs de la saison, il y a forcément du monde derrière. Et enfin, ça valide le travail et l’implication des joueurs, car je n’aurais jamais été nommé si les joueurs n’avaient pas travaillé sérieusement et s’ils n’avaient pas performé. Donc c’est moi qui ramasse un peu les lauriers, mais je suis très lucide que c’est le fruit d’un travail d’équipe et j’ai la volonté de le valoriser. »

C’est une fierté pour vous et pour l’équipe d’avoir déjoué les pronostics des médias ?

« C’est effectivement une très grande fierté. Ce n’était pas agréable de lire des commentaires ou des articles qui disaient que l’EAB allait descendre et serait dernier. Donc oui, c’est une fierté, et j’estime que quand on est journaliste sportif, quand on fait des classements et qu’on évalue des équipes, la moindre des choses, c’est de creuser son sujet et d’aller voir. Aucun des médias n’est venu voir ce qu’on avait fait durant la prépa. Ils ont juste vu sur le papier que les joueurs n’étaient pas réputés, que le coach était rookie et qu’en plus de ça, on avait le plus petit budget et ils nous ont de suite mis en bas de classement. S’ils avaient été plus fins dans leur analyse, ils se seraient rendu compte que durant la prépa, on avait gagné 4 matchs face à des grosses équipes comme Roanne ou Nantes. Donc ils auraient pu voir qu’on n’était peut-être pas si mal embarqué que ça. »

Vous avez réussi à prolonger Michael Akuchie, et vous avez encore des joueurs sous contrat, mais quel est l’objectif du mercato pour cette intersaison ?**

« L’objectif est de consolider notre noyau de joueurs. Nous en avons qui sont sous contrat, on essaye aussi d’en prolonger certains, et le fait que Michael Akuchie ait été prolongé, c’est une très bonne nouvelle. L’idée, c’est d’avoir un noyau et une base de joueurs de cette année qui ont déjà performé, qui connaissent l’environnement et notre projet de jeu. Mais il y a évidemment des joueurs comme Akaemji Williams qu’on ne pourra pas garder puisqu’ils ont pris de la valeur et sont donc devenus inaccessibles pour nous. Nous allons refaire des coups et encadrer ces nouveaux joueurs afin de les développer en espérant ne pas faire d’erreurs dans notre recrutement parce que notre marge est faible par rapport aux autres équipes. Certaines équipes comme Chalon-sur-Saône ont pu s’ajuster durant la saison en bougeant leur effectif et nous étions les derniers à ne pas bouger notre effectif avant les arrivées de Raijon Kelly et Louis Rucklin à cause de notre faible budget. Donc notre recrutement devra être pertinent avec très peu d’erreurs et si on réussit à faire un bon recrutement sur trois ou quatre joueurs, il n’y a pas de raison qu’on ne réussisse à performer la saison prochaine. Je ne veux surtout pas dire qu’on peut réussir à faire pareil, car ce qu’on a réalisé cette année est exceptionnel, l’année prochaine, le maintien restera l’objectif, car comme le budget est le même, il n’y a aucune raison que les ambitions bougent. »

Pour terminer, même si on vient de le faire durant toute cette interview, pourriez-vous donner un bilan de ce qu’a fait l’équipe cette année en une ou deux phrases ?

« Le club a grandi, mais il a encore beaucoup à améliorer et le chemin est encore très long. En tout cas, ce qui est important, ce sont les hommes et les projets. Tant que ces deux choses seront alignées, il n’y a pas de raison pour que le club continue d’évoluer. La grosse problématique qu’il y a à Angers, c’est qu’il y a beaucoup de clubs sportifs de haut niveau et qu’à un moment donné, nous allons avoir besoin d’un apport des collectivités locales. Ça va être important pour nous de nous sentir soutenus, bien sûr financièrement, mais ça ne fait pas tout, et venant d’ailleurs et ayant connu d’autres organisations, je n’ai pas le sentiment que l’EAB ait le soutien moral qu’il mérite par rapport à la saison qui vient d’être réalisée avec cette victoire en Leaders Cup qui représente le premier titre collectif du basket professionnel à Angers. Donc, pour conclure, je dirais que c’est bien d’avoir des hommes et des projets au sein du club, mais c’est aussi important qu’il y en est à l’extérieur. »

*L’EAB ne pouvait pas monter en Betclic Élite à cause de l’absence de centre de formation au sein du club

**Interview réalisée avant la signature d’Aurèle Brena-Chemille